Figure emblématique de la gastronomie toulousaine, Michel Sarran est un cuisinier d’aujourd’hui, un artiste culinaire, passionné du goût, qui nous a accordé sa confiance depuis de nombreuses années déjà. Son restaurant, consacré par 2 étoiles au célèbre guide Michelin, est un lieu d’exception : élégance, charme, finesse, création et convivialité se retrouvent à cette illustre table...
Quel est votre premier souvenir en rapport avec le fromage ?
Je n’ai pas vraiment mangé de fromage étant gamin. Mais j’habitais un village gersois, St Martin d’Armagnac, et à l’époque, un épicier passait deux fois par semaine dans les campagnes avec son petit fourgon : il vendait ce qu’on appelle du « fromage rouge », en fait un espèce de Gouda, à croûte rouge. Et puis j’ai une nostalgie pour la Vieille Mimolette, que mon père adorait.
Quand vous avez envie de fromage, comment le préférez-vous ?
En fin de repas, et aussi en casse-croûte. Fin de repas lorsque je reçois à la maison : quand je prépare un repas festif, il y a toujours un petit plateau de fromages. 3 ou 4 fromages bien choisis, pas plus. Car c’est toujours embêtant d’avoir plein de fromages à la maison, on ne peut pas bien le conserver… Et puis, la version casse-croûte, c’est « au couteau ». En fait, c’est un péché gourmand… Même si j’essaie de faire attention !
Françoise, votre femme, est toujours à vos côtés. Si un fromage devait lui ressembler pour ses qualités, ce serait… ?
Peut-être le Brillat-Savarin, qui a beaucoup de charme, de douceur, avec beaucoup de matière et de l’élégance. C’est quelqu’un qui est foncièrement gentil et, comme dans le Brillat, il n’y a pas d’acidité ! C’est très crémeux. Et alors quand on le marie à un peu de truffe, c’est quelque chose d’extraordinaire…
Quelle est la place du fromage sur votre carte ? Dans votre cuisine ?
Il y a plusieurs plats dans lesquels intervient le fromage. Tout d’abord le yaourt, début du fromage : en entrée nous proposons le yaourt fermier à la truffe. Ou encore le Liégeois de Bar, dont l’idée est de travailler le thème de la fête foraine. Il est servi avec une croquette faite d’Idiazabal. J’utilise également souvent du Parmesan, du fromage des Pyrénées, et du Roquefort de temps en temps pour des croustades. Le goût du fromage, surtout en amuse-bouche, aide à titiller le palais, à le réveiller avant de démarrer un repas.
Pour finir il y a la « roulante à fromage ». C’est une table sur laquelle est disposé un assortiment de fromages, et où est représentée chaque semaine une région différente. Nous la présentons à nos clients, et, bien qu’on ne soit pas à Toulouse dans une région très marquée culturellement par la consommation du fromage (contrairement à la Bourgogne, où il est inconcevable de terminer un repas sans fromage), nos clients sont vite tentés. Si culturellement le fromage n’était pas systématique à la fin des repas, les habitudes ont un peu changé. Certains le préfèrent au dessert.
D’après vous, qu’est-ce qui fait la richesse d’un fromage ?
Comme beaucoup d’autres aliments, et notamment le vin, c’est sa typicité, son originalité, son caractère, sa personnalité… Il y a une telle palette de couleurs aromatiques proposée dans les fromages qu’on peut satisfaire tous les palais : chacun va pouvoir trouver fromage à son pied, tout comme le vin. Personnellement j’aime beaucoup les persillés, et pas tellement le fromage de chèvre. Et pourtant, à une époque je préparais des fleurs de courgettes farcies au St Nicolas de la Dalmerie (fromage de chèvre, ndlr), et c’était un plat qui me plaisait bien…
Qu’attendez-vous de votre fromager ?
Le fromager est un relais entre le paysan-fabricant et nous, restaurateurs, tout comme nous sommes relais ensuite pour le consommateur. En tant que maillon du parcours, il y a une mission de conseil, d’information, de proposition et d’animation. Les producteurs de qualité travaillent souvent en petit effectif, et qu’ils soient fabricants-fromagers ou vignerons ils n’ont souvent ni le temps ni les moyens de démarcher, de fournir des supports informatifs, etc… Donc, les intermédiaires ont chacun ce rôle non seulement d’information, mais aussi de faire découvrir des choses, et de former, animer les équipes respectives.
Vous êtes co-fondateur des Rencontres Internationales de la Gastronomie, vous venez de cuisiner pour Nelson Mandela… Vous êtes très présent à l’international : quel est votre regard sur le fromage français dans le monde ?
Effectivement dans mon travail il m’est intéressant d’échanger : pendant plusieurs années je suis allé au Japon, où était organisée une semaine gastronomique. J’avais exigé qu’il y ait de fromages de chez Xavier : les Japonais sont très friands de fromage, ce qui est assez paradoxal car leur culture culinaire est faite de goûts assez neutres, mais toute en nuances et en subtilités. Alors que le fromage est de goût accrocheur et puissant, mais ça ne les gêne pas. Le fromage français reste une référence, comme l’est le vin. Pourtant j’ai goûté des fromages de Californie qui étaient extraordinaires. Si le fromage français a été talon, il a fait des petits. Même en France, les fromages étrangers sont prisés. Mais, un peu comme dans le vin, il me semble que le fromage français va avoir souvent plus de caractère et plus de puissance aromatique, plus de typicité. Les autres sont généralement un peu moins forts, moins complexes. Ils correspondent certainement aux palais de leurs consommateurs.
Quel votre fromage favori ?
C’est le genre de choix que je trouve absurde. Est-ce qu’on a un plat favori, un cuisiner favori ? Moi non. Il y a des moments où j’ai envie de manger du Brillat-Savarin, pour la douceur et la crème, d’autres moments où je vais avoir envie d’une pâte persillée, ou d’un vieux Comté… J’étais en Auvergne ce week-end, où j’ai goûté un excellent Laguiole de 18 mois d’affinage. Ça dépend du moment, du lieu, de l’événement… S’il y a des fromages que je n’aime pas vraiment, je n’ai pas de fromage privilégié : j’ai surtout de la curiosité.
En ce moment, la « sélection Michel Sarran » c’est… ?
L’Anneau de Vic Bilh, que j’invite à ma carte pour cette rentrée. C’est un fromage que j’aime travailler, et dont la région de production est toute voisine de mon village natal, en Armagnac, limitrophe avec le Madirannais et le Pacherenc. De plus, la période des vendanges arrive, et le Pacherenc de Vic Bilh est un vin que j’aime beaucoup, à la fois sec et sucré. Cette alliance me rappelle vraiment tout un passage de ma vie.
Propos recueillis par Maya Marin, le 24/07/2007
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