Les fromages d’alpage sont ceux fabriqués lorsque les troupeaux sont menés aux pâturages communautaires de haute montagne, lors de l’arrivée de l’été. C’est cette période que l’on appelle l’estive.
Avec la fonte des neiges, les troupeaux entament leur migration estivale : ce mouvement porte différents noms selon la région, transhumance en Pyrénées, inalpe et désalpe dans les Alpes, et autres noms locaux séculaires.
Entre la fin mai et le début octobre, les animaux gardés par les bergers broutent alors une herbe fraîche, abondante, parsemée des fleurs d’altitude. Cette alimentation, sublimée par le grand air et « l’exercice » de la promenade, prodiguera un lait riche, crémeux et très parfumé : celui-là même qui donnera aux fromages un bouquet de saveurs uniques et complexes.
Si le lait est souvent redescendu en vallée pour y fabriquer le fromage, il est parfois transformé sur place, dans les chalets d’alpage disposés tout au long de la « remue » (montée à l’alpage au rythme de la poussée de l’herbe) : comme dans le Beaufortin, ces chalets servent aussi bien à la fabrication du fromage qu’au repos des bergers, ou à fournir un abri aux bêtes.
Quelques fromages sont traditionnellement fabriqués ainsi durant l’estive : le Beaufort, le Reblochon, le Cantal, le Salers, l’Abondance, le Comté, la Tomme des Bauges, mais aussi et surtout les fromages de Suisse : Fribourg, Bagnes, Appenzell, Etivaz…
Si ces fromages sont le fruit d’une période et d’un espace particulièrement propice, ils sont aussi l’aboutissement d’un effort commun : traditionnellement les propriétaires des troupeaux comme des alpages s’accordent, mêlent leurs troupeaux, en partagent le gardiennage…
Fabriquer ainsi des fromages est toujours une grande fierté pour les producteurs : c’est une particularité majeure marquant leur identité culturelle, une spécificité dans laquelle se retrouve toute l’authenticité et la solidarité de cette mise en partage (n’oublions pas que l’estive est une affaire commune !).
- Troupeau en alpage
Mais cela requiert une volonté de fer de la part de ces hommes et femmes qui passent de nombreux mois sur l’alpe, souvent dans des conditions bien éloignées de nos modes de vie actuels. Sans oublier que la modernité a apporté son lot de difficultés : la restriction des alpages (expansion de domaines skiables et touristiques, réserves naturelles, sites classés, construction de routes et autoroutes…) a par exemple conduit à l’utilisation massive de camions pour transporter les troupeaux, venant remplacer par nécessité économique cette traditionnelle migration pédestre.
Depuis une cinquantaine d’années, les grandes transhumances ont presque disparu, les effectifs des troupeaux en montagne ont diminué, et les bergers et vachers avaient pratiquement disparus à la fin des années 1980.
Pourtant, la transhumance est encore une nécessité pour un grand nombre d’éleveurs : cultiver de l’herbe et des fourrages verts en été reste une technique difficile, coûteuse et très exigeante en eau et en main-d’œuvre, surtout dans les régions méditerranéennes par exemple. Au contraire, la transhumance constitue une adaptation au milieu et au rythme naturel de la végétation des parcours, et fournit une alimentation souvent abondante et relativement économique. De plus, on s’est aperçus qu’elle offrait une solution parfaite à l’entretien nécessaire des espaces d’altitude.
Aujourd’hui, après la grande vogue des intérêts industriels, et, on le devine, avec l’émergence de nouvelles préoccupations telles que le développement durable, on voit revenir un regain d’intérêt pour cette tradition : les pratiques ancestrales de conduite des troupeaux, qui avaient disparu au profit des transports en camions, revoient le jour ; le gardiennage en alpages est considéré à nouveau comme l’un des piliers du pastoralisme moderne et fait désormais l’objet d’un certain nombre de mesures d’aides.
D’ailleurs, la transhumance est traditionnellement l’occasion de grandes fêtes dans les vallées, les plus connues étant sûrement les combats de reines dans les Alpes.
Ces fêtes permettent de redécouvrir le terroir mais aussi les métiers du pastoralisme : à travers la France, la Suisse, l’Italie, l’Allemagne, on ne compte plus les animations locales destinées à marquer la fin de l’estive, et le retour au foyer pour les bergers… Annonce festive que l’hiver est en route !
Les fromages, pendant ce temps, continueront leur lente maturation en cave, s’installeront dans le rafraîchissement du temps sans empressement : car c’est au cœur de l’hiver que naît la période d’excellence des fromages d’alpage, qu’ils sont à l’apogée de leur potentiel organoleptique.
C’est là que leur pâte, imprégnée des accents estivaux, fruit de tant de labeur, viendra apporter tout son réconfort, sa chaleur et sa générosité à nos papilles ô combien reconnaissantes.
Maya Marin, Juin 2009
Sources et liens :