Bidons Sans Frontières

Il y a quelques années, des bidons à lait de 40L, à la retraite, en avaient assez de se faire barbouiller le dos des coquelicots, edelweiss et autres gentianes pour finir porte-parapluies dans un recoin de hall : ils décidèrent alors de lancer un mouvement de contestation afin d’obtenir une conversion professionnelle plus riante.

C’est au cours des grandes manifestations de la fin des années 90 que le photographe Gérard Benoît à la Guillaume, sensible à leur révolte, adhéra sans réserves à leurs revendications.

Aujourd’hui, s’il est adopté par cette colonie de bidons, il en est aussi le témoin privilégié de leurs facéties. Avec malice, ces bidons s’installent dans des sites naturels ou urbains, et épousent même des évènements.



En quelques mots...

Quel est le message de vos amis bidons ?

Ils nous disent « Attention, ne nous abandonnez pas… Respectez notre mémoire, respectez le travail qu’on a fourni, et ne nous laissez pas finir en porte-parapluies, ou support d’expression artistique souvent douteuse… Respectez notre intégrité. » C’est là leurs revendications. Du fait qu’ils ont été mis au rebut, ils aspirent à une retraite, ou une seconde vie, plus riante. C’est ce que j’essaie de leur proposer.

En quoi l’objet « bidon à lait » vous a-t-il inspiré ?

C’était dans un petit village en Suisse à Villeboeuf, en Suisse romande : je me rendais justement dans une laiterie-fromagerie. En face de sa laiterie, dans la fontaine du village, le fromager avait mis à tremper deux bidons, appelés boilles en Suisse, pour tenir le lait au frais. Il avait ouvert les couvercles, et c’est là que je les ai vus : ils ressemblaient à des bonhommes. J’étais déjà très sensible à l’anthropomorphisme, c’est-à-dire tout ce qui ressemble à l’humain par sa forme. Des objets anthropomorphiques, il y en a partout autour de nous, on en voit toute la journée. De la prise de courant à la poignée de la cocotte-minute, en passant par la clé USB regardée de face !
Ce fut la première rencontre avec le bidon : et j’en ai eu deux chez moi, puis cinq, trente et aujourd’hui plus de 100...

J’aime les beaux objets, et le design. Même les bidons existent sous plusieurs design : les derniers n’ont pas la même forme que les premiers. C’est une façon de respecter les gens qui ont travaillé là-dessus, qui ont construit ces bidons. Mon intérêt est aussi d’aller dans le style de la récupération : je récupère ces objets qui vont partir à la casse, ou Dieu sait où, pour tâcher d’en créer quelque chose. C’est une démarche influencée par les nouveaux réalistes comme par exemple Arman, qui accumulait plein d’objets identiques, et qui a réalisé son œuvre dans le Landart.

Le bidon est un objet mythique, un identifiant, un des symboles forts du monde rural, et dernier objet dédié au transport du lait, et dessiné spécialement pour ça : c’est le trait d’union entre le pis de la vache et le fromage. Et puis j’aime bien cette idée de dire que, selon mes calculs, un seul bidon à lait a reçu en moyenne 1 460 000 litres de lait, et participé à la fabrication de 146 000 kilos de fromages : ça m’impressionne ! Et je balade 100 bidons dans mon camion…

Les sites « occupés » sont-ils stratégiques ?

C’est l’objet-même du projet Bidons Sans Frontières : dire qu’il y a un équilibre de valorisation, une réciprocité de valorisation entre les sites d’accueil et les bidons. Ceux-ci ont un rôle de surligneur. Ils mettent l’accent sur des éléments dans le site qui peuvent être intéressants en terme d’architecture, de production, de lignes, de formes. C’est un élément valorisant du patrimoine dans lequel ils sont accueillis. Et réciproquement, les courbes d’un patrimoine, d’un paysage par exemple, peuvent mettre l’accent sur les bidons et les rendre encore plus sympathiques.
Ces espaces doivent présenter des lignes rigides, un peu droites comme la jetée d’un port par exemple, ou bien des courbes : les collines, les lacets d’une route…
J’aime bien épouser les formes et reliefs existants.

Quels sont vos prochains évènements ?

J’aime avoir une approche fantaisiste, ludique. Comme on emploie l’expression « jazzy » pour la musique, j’aime à faire des photos « arty » : c’est une photo légère, sans concept spécialement intellectuel et sérieux, et facilement appréhendable par le public. J’aime quand les images ont une fonction sociale, relationnelle et amusante, et qu’elles servent quelques valeurs patrimoniales.
Il y a une dimension politique au sens large du terme : je parle de développement de la société, d’évolution vers quelque chose de plus progressiste, de plus humain. J’essaie d’amener le lecteur-spectateur à s’interroger, de se dire « on est en train d’abîmer l’architecture dans ce pays, parce qu’on n’a pas su prendre en compte l’existant » : il s’agit de chercher un peu plus d’ingéniosité, pour faire du moderne qui s’adapte un peu mieux à l’environnement existant. Mes photos sont là pour mettre en avant cette relation patrimoniale.

Propos recueillis par Maya Marin


Gérard Benoît à la Guillaume

Gérard Benoît à la Guillaume est un photographe franco-suisse qui vit et travaille à cheval sur la frontière. Il aime tamiser les patrimoines régionaux pour en personnaliser leurs particularités. L’interprétation et le choix de ses sujets peuvent laisser apparaître son affection pour le courant des « Nouveaux réalistes » et le Land-Art. Recette : muffins de courgettes et Langres

Avec l’avènement de la photographie numérique, il fait encore davantage sienne l’analyse de Joan Fontcuberta : « La photographie ment parce que sa nature ne lui permet pas autre chose. L’essentiel devenant l’usage que fait de ce mensonge le photographe, les intentions qu’il sert, le contrôle qu’il exerce sur son mensonge ».

Suggérer plus que montrer, surprendre, interroger, amuser, voici sa pratique « arty » de la photographie brute de plaisir.

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Les images contenues dans cette page sont le produit du travail original de Gérard Benoît à la Guillaume. Tous les droits sont réservés. Aucune de ces images ne peut être imprimée, copiée ou reproduite, même partiellement, sans son accord explicite.