Dernier volet de la série "Métiers du Fromage", nous ne pouvions conclure cette trilogie qu’avec Xavier bien-sûr ! En direct de notre fief toulousain, Xavier nous conte sa passion pour l’affinage…
Xavier, c’est quoi être affineur de fromage ?
Etre affineur, c’est élever le fromage pour l’amener du stade « enfant », « jeune fraîchement démoulé » au stade « adulte », où il sera le meilleur pour être dégusté.
Comment devient-on affineur ?
De plusieurs façons : il y a d’abord la voie des écoles, avec l’ENIL (Ecole Nationale des Industries Laitières). Puis un parcours initiatique dans les différentes filières de la profession, où l’on apprend à découvrir toutes les variétés de fromages possibles et imaginables : non seulement à les fabriquer, mais aussi à les affiner, à les élever, à les faire « maturer ».
Cet affinage est la merci de certaines personnes : les affineurs, qui sont des artisans, voire des artistes. Ils ont leur propre tour de main, leurs propres outils, leur propre langage, leur propre univers, leur propre atmosphère…. Un même fromage, suivant qu’il sera travaillé par un affineur ou un autre, n’arrivera pas du tout aux mêmes spécificités de dégustation.
- Chevrion à l’affinage
Qu’est-ce qui vous a amené vous à devenir affineur ?
Premièrement, le fait de vouloir travailler le vrai fromage, bien-sûr je parle de fromage au lait cru. Je me suis aperçu qu’il y avait un passage indispensable pour obtenir un fromage de qualité : l’affinage. C’est un travail d’artiste, et on peut pleinement donner sa dimension personnelle au produit. Il y a un compagnonnage entre le produit et l’homme, le produit à l’arrivée est la résultante de son état initial et du savoir-faire de l’homme : c’est ça qui me passionne.
- Palet Bourguignon
Peut-on dire que c’était une vocation ?
Une vocation, non. Mais c’est devenu une passion. J’ai toujours aimé le fromage, mais dès qu’on se prend au jeu, on y passe tout son temps. Je suis fils de paysans du Haut Doubs, alors j’ai « trempé dans le petit lait », puisque matin et soir je portais le lait à la fromagerie, et ses odeurs de laitage et de fermentation m’ont imprégné. Je ne peux pas concevoir mon enfance sans avoir une pensée directe pour ces moments bi-quotidiens. Je savais que je travaillerai pour un produit animal : soit pour la bête, soit pour le produit de la bête. Et non pas dans le domaine du végétal ou du minéral.
Comment s’est organisée votre vie familiale au long de ces 30 années ?
D’abord j’avais un bagage scientifique, certes, mais il n’était rien par rapport à ce que j’allais faire en pratique. Puisque le métier d’artisan est un métier où l’on ne peut pas déléguer sans y être : on doit accompagner tout l’aspect humain qui gravite autour du produit. Donc je me suis coulé là dedans, et on se prend de passion très vite ! Si bien que, sur un plan familial, avec ma chère épouse, on a déterminé ce qui était acceptable et ce qui ne l’était pas. Le compromis.
- Xavier et son fils François
De plus, le métier nous a apporté suffisamment de joie : pouvoir m’éclater à la fois grâce au fromage en lui-même, mais aussi grâce à son rayonnement, ne serait –ce que pour traverser toutes les provinces de France et leurs richesses gustatives, culturelles et leurs rencontres humaines.
Mes 5 enfants ont baigné dedans : ils m’ont aidé à toutes les vacances, c’est une partie de leur univers (une partie seulement !). Ils m’ont aidé à retourner les fromages quand ils étaient petits, puis ils ont aidé à la vente, beaucoup de clients les connaissent depuis 30 ans ! Ils connaissent tout de mes déboires et mes nombreuses satisfactions.
D’ailleurs aujourd’hui, c’est l’un d’eux, François, qui a repris le flambeau de la boutique.
Comment se passe une journée d’affineur ?
Ça dépend de quel affineur : mes journées sont très différentes de celles d’un affineur d’un produit particulier. Il y a des affineurs spécialisés qui n’affinent que du St Nectaire, d’autres que de l’Ossau, etc… Pour moi, c’est tout à fait différent : tous les jours j’avais à faire face à 250 variétés de fromages. La première des choses, c’est la descente en cave : l’odeur vous renseigne déjà, ça vous dit immédiatement si les fromages vont bien, s’il y a un problème. L’affineur est comme un berger : la première des choses dont il s’occupe, c’est de ce qui ne va pas. Si un mouton se sauve, il confie le troupeau au chien et il va le chercher ! Et bien pour le fromage c’est pareil, vous entrez dans une cave, vous commencez à inspecter. C’est le coup d’œil professionnel, en quelques minutes vous avez vite fait d’inspecter les différents lots. Vous savez, depuis la veille, si celui-ci s’égoutte mal, si celui-là se couvre mal, si l’autre se sèche trop, et en fonction des mesures que vous aviez prises la veille, vous voyez l’évolution.
Une fois que le tour de cave est fait, selon les jours de la semaine, vous vous organisez.
La cave à chèvre : retourner les fromages, retirer les parties adhésives indésirables, peut-être en frotter, en faire sécher légèrement, supprimer certains champignons indésirables, passer un petit coup de main sur un duvet trop expansif, etc… Puis, les pâtes molles à croûtes lavées : des soins très adaptés, lot par lot. Il faut les « lavez » avec une solution spéciale, peut-être mettre en place des systèmes de rotation, ou de protection. Les pâtes molles à croûte fleurie, elles, évoluent très vite. Le duvet du Camembert par exemple ne doit pas être trop agressif, il faudra éviter qu’il ne sèche, ou au contraire l’aérer un petit peu… Et après, toutes les pâtes pressées : surveiller l’évolution, que les croûtes sont bonnes, que la morge est suffisamment humide « ma non tropo » pour ne pas qu’elle adhère à la planche, changer les supports, etc… Tout ça peut prendre de quelques minutes à quelques heures, et ce n’est pas paramétrable, c’est en fonction des urgences du moment.
Le territoire de l’affineur est donc la cave ?
L’affineur est en cave, en hâloir, en local de séchage et de lavage (grosse partie du métier). Il y a également l’hygiène qui gravite autour : stériliser certains les outils, pour éviter les contaminations. Et il y a encore la traçabilité, pour suivre la vie de chaque lot. C’est l’aspect plus « administratif » du métier.
Sans oublier, en amont, la relation avec le producteur : il faut le rencontrer, discuter presque tous les jours sur le bon devenir de ses produits, savoir en fonction de la saison ce qu’il peut faire ou non, paramétrer et planifier les fabrications. C’est un travail de tous les instants.
Qu’est ce qui vous plaît dans ce métier ?
Le fromage est un produit vivant, et qui est travaillé par des hommes. C’est cette relation au produit comme aux hommes qui m’enthousiasme. C’est cette conciliation, cette synergie entre la qualité du produit et la qualité du travail humain qui fait un tel résultat.
Quelles sont les difficultés du métier ?
Il n’y en a pas ! Parce que tout est difficulté, ou tout est plaisir. Suivant ce qu’on recherche, on sera plus ou moins satisfait : si un fromage est trop humide en été, il va couler… S’il est trop sec en hiver, il ne crèmera jamais. Ce qui est valable aujourd’hui n’est pas forcément valable demain, donc on devient très philosophe.
Comment voyez-vous l’avenir du métier, du secteur ?
Comme tous les métiers où l’homme à une certaine importance, ou une importance certaine, au niveau de la finalité du produit. Le fromage au lait est définitivement un produit d’avenir : le pire, c’est le produit industriel, point terminé à la ligne. Pour moi, tout produit où la main de l’homme apporte une contribution certaine est un produit d’avenir.
Quelles évolutions avez-vous constatées depuis vos débuts ?
Il y a peu, partout on parlait plutôt « fermeture ». Or maintenant les jeunes reprennent, et il y a un réel engouement de ceux qui ne connaissaient pas le produit. Manifestement, on a sauvé le produit. Maintenant il faut redonner à la filière une dynamique pour qu’elle acquiert vraiment la place qui lui revient. Et de la place il y en a ! Il nous faut contribuer à l’évolution de la consommation en général : car c’est un produit qui demande une certaine éducation.
Et si vous deviez choisir un fromage... ?
Aucun ! Tout dépend de si je suis tout seul, si c’est le matin, le midi ou le soir, si j’ai déjeuné ou pas encore, si je suis accompagné d’un homme ou d’une femme (c’est différent), dans quelles circonstances, si le vin est déterminé, si c’est du blanc, du rouge, avec du café ce sera du Maroilles, avec de la bière peut-être du Munster, si c’est du Cidre alors un Livarot… Je n’ai pas de chapelle !
Propos recueillis par Maya Marin, le 07/12/2006.
Voir aussi : "Rêve de bergère" (1/3) et "Fabricant fromager"(2/3)
Les coups de coeur de Xavier :