Sacrées étiquettes !

Depuis le 1er décembre 2007, le fameux « décret fromage » est entré en vigueur. Waouh ! ami gastronome, diététicien, ou simplement consommateur voici quelques réflexions dans la bulle !

Il est désormais obligatoire d’indiquer :

  • le taux de matières grasses, non plus en pourcentage de l’extrait sec, mais en pourcentage du produit fini.

Ce dernier changement est loin d’être anodin, loin s’en faut...

Auparavant :

Les professionnels étaient tenus d’indiquer le taux de matières grasses des fromages sur leur extrait sec, c’est-à-dire sur celui du fromage complètement déshydraté. A noter que seuls les fromages étaient soumis à cette particularité : les autres aliments basent leur pourcentage de matières grasses sur leur poids total (eau comprise). Ce choix s’explique par le fait que, dans le fromage, si la matière grasse reste entière, la teneur en eau varie énormément :

  • d’un fromage à l’autre lors d’une même fabrication,
  • tout au long de la vie d’un même fromage, au fur et à mesure qu’il s’affine, il sèche et il perd de l’eau, et donc du poids (jusqu’à la moitié parfois !).

Cette méthode de calcul, excluant d’office l’eau et son caractère variable, visait à garder un taux toujours constant, et surtout à faciliter ainsi les contrôles, en conservant des barèmes fixes à respecter. Mais cette méthode présentait aussi de gros inconvénients, qui ont indéniablement nuit à l’image du fromage :

1. La comparaison « simple » des taux de matières grasses avec les autres aliments, sans tenir compte de la différence de calcul, a donné au fromage sa « mauvaise réputation » d’aliment très gras. Ce qui est bien sûr faux car l’élément le plus présent dans le fromage est l’eau.

2. Il a été communément admis que les pâtes molles étaient plus « grasses » que les pâtes dures : seconde erreur, car au delà de la texture, les pâtes molles contiennent plus d’eau, donc… proportionnellement moins de matière grasse que les pâtes dures à qualité de lait égal !

3. Comme la part d’eau n’est jamais mentionnée (puisque variable), il était tout bonnement impossible de connaître la quantité exacte de matière grasse ingérée !


Maintenant :

Ce taux de matière grasse est aligné sur celui des autres aliments. Cela présente bien sûr l’indéniable avantage de pouvoir aisément comparer les taux, et constater que ceux des fromages ont… considérablement baissé. Ce taux devient significatif des matières grasses réellement contenues dans le fromage ingurgité. Certes, mais uniquement à un moment donné ! Répétons-le, le fromage est un produit qui évolue : sa part de matière grasse augmente au fur et à mesure qu’il perd son eau… La méthode n’est pas parfaite…

Et même partant d’une bonne volonté (une meilleure information du consommateur), elle s’avère impossible, voire un réel « non-sens » dans le cas des fromages fermiers. Elle pourrait même participer à l’agro-industrialisation du secteur et à la disparition de la qualité et du savoir-faire fermiers…


Explications : jusqu’à aujourd’hui, il y avait une tolérance pour les fromages définis comme fermiers. Ils mentionnaient « Matière Grasse Non Précisée ». Pourquoi ? Dans une ferme les paramètres variables ont une incidence très importante sur le résultat. Ces paramètres sont sujets à Dame Nature : en fonction de l’alimentation et/ou des herbages de saison, des conditions climatiques, en fonction du cycle naturel de lactation ou de gestation, en fonction des techniques fromagères de fabrication, du stade d’affinage… Dès le départ le lait sera plus ou moins riche, et le fromage de même. Selon la saison et les conditions, le taux d’un même fromage peut varier du simple au triple ! Aujourd’hui la nouvelle réglementation supprime cette exemption pour les fromages fermiers. Si cette demande est cohérente avec une logique industrielle, elle s’avère totalement inadaptée à une activité fermière .

En industrie, la rationalisation veille à supprimer tout aléa. Il n’est point question de cycle, si ce n’est celui du rendement. Et si l’emballage de tel fromage mentionne « 20% de matière grasse », qu’à cela ne tienne : le contrôle est en place, on écrème ou on rajoute ! Le lait d’un coté, sa matière grasse dans le container d’à côté, et hop ! un petit coup de mixeur… C’est le produit qui s’adapte à son étiquette, et non l’inverse ! Seulement voilà : les fermiers n’utilisent que leur propre lait, naturellement, sans chercher à le stéréotyper, tout le contraire … Même problème de moyens en ce qui concerne les contrôles, qui deviendraient récurrents, et l’étiquetage à renouveler à chaque fois… Résultat : avec la meilleure volonté du monde, il est techniquement impossible pour un producteur fermier de donner une information pertinente sur une étiquette…

La grande particularité du métier d’artisan-fromager, c’est qu’il faut chaque jour s’adapter aux conditions du moment que dicte Dame Nature : c’est ce qui, jour après jour, va déterminer la qualité d’un fromage véritable. C’est ça qui crée la surprise, qui permet la merveille.

Actuellement, de nombreux représentants de la profession proposent que les fromages fermiers puissent utiliser une « mention spéciale » afin d’informer sur leur caractère non-standardisé, ou pas de mention du tout, à l’image des AOC (exemptées). Un document d’interprétation de la nouvelle réglementation est en cours d’élaboration par Atla et la DGCCRF. Si aucun compromis n’était trouvé, on assisterait à une restructuration du secteur des fromages fermiers. Attention les dégâts ! Le mot « fermier » ne s’appliquerait qu’à très peu de fromagers, fermiers de nom mais industriels de pratique…

Xavier & Maya Marin


Pour aller plus loin :



fromage fermier : fromage produit avec le lait d’une seule et unique ferme, et qui a été transformé dans cette même ferme. D’une manière pratique, cette définition exclut les fromages industriels, dont les laits proviennent de collectes lointaines (souvent les pays de l’Est), et sont mélangés à d’autres laits, d’autre provenance…

En savoir plus : Voir notre article Fermier, artisanal ou laitier ?

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