Les Moines-Fromagers

Frugal et énergétique à la fois, le fromage était au Moyen-Age une denrée de subsistance commune, et l’aliment des humbles par excellence... même si au fur et à mesure de cette époque il atterrit sur les tables royales, créant les légendes qui feront la réputation de nombreux fromages pour les siècles suivants.

St Benoît écrivant les règles, portrait (1926) - H. Nigg

Véritable conserve alimentaire, il correspondait également à l’idéal de vie simple que prônait St Benoît, qui a érigé dès la première moitié de notre millénaire plusieurs règles : parmi celles-ci,

  • les Bénédictins doivent vivre du travail de leurs mains pour être « vraiment moines ».
  • ils ne mangent pas de viande : laitages et fromages sont le socle de leur alimentation, porteurs puissants de ces valeurs de simplicité et d’humilité.
  • Enfin, leur communauté doit se suffire à elle-même (vivre en autarcie).

Ces règles seront largement suivies par les Cisterciens (de Cîteaux), et les Trappistes : ces ordres, comme foule d’autres par la suite (Dominicains, Franciscains…), s’implanteront fortement dans toutes les régions : on compte environ un millier de monastères dans la France médiévale ! De plus, entre le XII° et le XIV° siècle, les grands pèlerinages à travers l’Europe sont en vogue : les monastères deviennent un véritable pôle d’activité, de stabilité et d’innovations techniques.

Plan cavalier de l’abbaye de Cîteaux. Issu du Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIè au XVIè s., par E. Viollet-Le-Duc, 1856.

Elite intellectuelle (car ils savent lire et écrire), c’est une main d’œuvre haut de gamme et gratuite, avec l’aide d’une foule de frères convers, de religieuses, de paysans et d’artisans salariés. Mais les monastères ont également de lourdes charges : entretien des moines et des convers, soin des malades et/ou enseignement, assistance aux indigents, accueil des pèlerins… Un monastère doit pouvoir nourrir toutes ces personnes. Comme les dons ne suffisent pas, le monastère cultive les plantes, élève les animaux nécessaires à son alimentation, cherche à créer des surplus qui sont vendus à l’extérieur…

Les moines seront à l’origine de la création de très nombreux produits du terroir, avec en tête de file le vin (indispensable à la messe), la bière, et… les fromages bien-sûr, car ils répondent particulièrement aux besoins de l’époque (conservation et transport du produit…) et aux règles en place : la confection de fromages et la gestion attentive du produit ont définitivement leur place dans la vie monastique.

Cîteaux de l’Abbaye

Ces productions d’origine monastique sont donc devenues d’actuels "produits du terroir" : citer tous les fromages serait impossible, mais commençons par le Munster, qui vient du latin monasterium, qui donnera monastère puis… Munster ! Mais aussi Cîteaux (de l’Abbaye), Maroilles, Tamié, Roquefort, Laguiole et Cantal, Epoisses, Pont-L’Evêque, Coulommiers, Bleu de Gex, Abondance, Port Salut, Echourgnac, Tête de Moine, Mont des Cats, Iraty (de l’Abbaye), Pierre-Qui-Vire, Gérômé, St Nectaire

La Révolution de 1789 aura raison de nombre d’abbayes : la plupart seront vendues comme biens nationaux, d’autres seront désertées, pillées…

Iraty de l’Abbaye

Les moines seront contraints de quitter les lieux, et c’est alors les fermiers qui prendront le relais de production fromagère, en généralisant l’élevage d’estive : une nouvelle époque naît, et ce sera l’âge d’or de la commercialisation du fromage.

De nos jours, si quelques communautés persévèrent dans la fabrication et l’affinage de fromage, la plupart ont arrêté la ferme pour se tourner vers d’autres types de gagne-pain. Il semble que l’agriculture soit peu rentable pour les monastères, à cause des matériels lourds à acquérir et à entretenir. De plus, les moines et moniales étant moins nombreux, il a fallu trouver des sources de revenus demandant moins de main d’œuvre. De ce fait, la plupart des communautés qui produisaient du fromage ont cessé cette activité, parfois vendu leur activité aux industriels (d’où la floraison de fromages de masse n’ayant plus rien à voir avec la vie monastique…), pour se tourner vers d’autres activités.

Moines de l’abbaye de Cîteaux (source : www.citeaux-abbaye.com)

Pourtant, celles et ceux qui continuent aujourd’hui à fabriquer des produits de qualité bénéficient de l’image d’une longue tradition de fabrication, et leurs produits sont hautement valorisés par cet inestimable facteur : le soin quotidien dispensé par l’homme à ces bonnes pâtes, dans un contexte général largement industriel et impersonnel.

Dans le jargon fromager, l’expression « fromage d’abbaye » est même devenue signifiante : elle désigne un certain type de fromage, généralement des pâtes mi-pressées, légèrement lavées, à la croûte discrète…

Ruines de l’abbaye de Munster

Petite nuance toutefois… Attribuer les grandes recettes fromagères aux seuls religieux de l’époque serait aventureux : n’oublions pas qu’ils sont quasiment les seuls à savoir mettre à l’écrit leurs recettes, et consigner le savoir était également une de leurs missions… Justice doit être rendue aux « sans nom », des femmes le plus souvent, qui, pour répondre aux besoins familiaux, à partir d’infinis tâtonnements, ont sûrement peu à peu fixé les modalités de la confection de fromages originaux. Rien n’autorise finalement à faire des moines les « inventeurs » exclusifs des recettes fromagères, comme l’avance trop souvent la littérature glorifiant telle ou telle A.O.C., ou comme le suggère la publicité vantant telle ou telle création fromagère, sortilège marketing s’il en est car sans rapport aucun avec la vie monastique


Maya Marin, Mai 2009

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